Dans un appartement de Belgrade, reflet d'un siècle de soubresauts politiques, la réalisatrice, Mila Turajlic, filme sa mère, figure de la lutte pour la démocratie en Serbie. Un magnifique dialogue entre "l’intérieur" et "l’extérieur", l’intime et le collectif.
En 1947, un peu plus d'un an après la naissance de Srbijanka Turajlic, le vaste appartement qu'elle habite toujours dans le centre de Belgrade avait été divisé en quatre par les nouvelles autorités communistes. Dans le salon, Srbijanka astique avec soin le judas et la poignée de la porte qui a alors séparé sa famille de "bourgeois vaincus" de ses nouveaux voisins. Jamais, précise-t-elle à sa fille qui la filme et l’interroge, elle n’a voulu s'intéresser à ce qui se passait de l’autre côté du mur, elle qui s’est si passionnément investie dans la vie publique. Figure du combat pro-démocratie en Serbie, haïe des nationalistes qui ont rapidement gagné du terrain après la révolution du 5 octobre 2000, cette professeure d’ingénierie retraitée de l'université, brièvement ministre de l'Éducation, médite volontiers à voix haute sur ce qu’elle considère comme "l'échec complet" du combat de sa vie. "Si j'avais été meilleure en histoire, j'aurais su que toutes les révolutions échouent. Après, c'est encore plus dur de faire la suivante", résume-t-elle.
La part intime de l’engagement
Cette héritière d'une lignée de juristes est la petite-fille de Dusan Peles, premier ministre de la Justice du royaume de Yougoslavie, dont il avait soutenu l'unification avec ardeur, en 1918. Avocat social-démocrate, son père avait conseillé à Srbijanka de privilégier les maths au droit, tristement inutile, selon lui, sous le gouvernement de Tito. Encore étudiante, la jeune fille a fait son baptême du feu sur les barricades de 1968, mais c'est vingt ans plus tard, quand Slobodan Milosevic prend le pouvoir et prépare la guerre contre les autres républiques de la fédération, qu’elle devient l’une des chefs de file de l’opposition au régime, sans jamais nourrir pour autant d’ambition personnelle.
Tout au long de cette conversation de part et d’autre de la caméra, elle garde la lucidité inquiète, l’humour et la franchise qui caractérisent aussi sa parole publique, restituée par le biais des meetings, interviews et remises de médaille filmées au fil du temps par la télévision. De même qu’elle tisse de saison en saison, entre la rue et l’intérieur de l’immeuble, un subtil et émouvant dialogue, Mila Turajlic joue de ces archives pour questionner à travers sa propre famille l’histoire européenne et, au-delà, la part intime de l’engagement. Un film qui résonne longtemps dans la mémoire, vibrant d’intelligence, d’amour et de poésie.
Documentaire de Mila Turajlic (Allemagne, 2015, 1h44mn)
Disponible jusqu'au 14/06/2023
#Histoire #Serbie #Arte
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L'envers d'une histoire | ARTE